Malgré l'ampleur alarmante du phénomène, les violences sexuelles sur les nourrissons restent terriblement sous-estimées en France. Ce fléau, juge Marion Pierre, pédiatre au service de médecine légale à Rennes, est perçu comme « insoutenable » et « impensable », rendant difficile l'identification des victimes. Ces tout-petits, âgés de seulement quelques mois à deux ans, figurent malheureusement parmi « les victimes parfaites » pour les pédocriminels, qui estiment à tort que « ce n'est pas si grave », puisqu'ils ne peuvent se défendre ni dénoncer les abus subis.
Récemment, la Mission interministérielle pour la protection des femmes (Miprof) a rendu public un rapport troublant : 614 nourrissons ont été pris en charge pour faits de violences sexuelles, représentant 2 % des 73 992 victimes de violences sexuelles et sexistes en France en 2024. Des chiffres que la Haute Commissaire à l’Enfance, Sarah el Haïry, dépeint comme largement « sous-évalués ». « On parle d’enfants qui ne peuvent ni parler, ni marcher, ni demander de l’aide », souligne-t-elle.
La récente mise en examen d'une infirmière et de son ancien compagnon pour des agressions sur des nouveau-nés à la maternité de Montreuil a exposé la triste réalité de ce sujet encore trop souvent tabou. Cette situation soulève des voix : « Les violences sexuelles sur les nourrissons sont totalement invisibilisées parce que c'est impensable », affirme Marion Pierre. La majorité des agresseurs sont des hommes, infiltrés dans le cercle proche de l'enfant, qu'il s'agisse de l'entourage familial ou de professionnels de la petite enfance.
Les défis se multiplient pour la justice, souvent confrontée à l'absence de marques physiques. Hélène Romano, psychologue, pointe du doigt l'horreur de ces abus souvent non détectés : « Une fellation avec un bébé ne laisse pas de traces visibles », rappelle-t-elle. Cela mène à des situations où des signalements pourraient être méprisés, comme le rapporte un cas de découverte de sang dans une couche, où l'hypothèse de l'origine hormonale a été envisagée sans penser aux abus.
Les signes de mal-être chez les nourrissons peuvent passer inaperçus. Christophe Molmy, à la tête de la Brigade de protection des mineurs de Paris, avertit que « les nourrissons sont très observés » mais que l'indifférence persiste face à ce qu'ils expriment : troubles du sommeil, apathie ou hypersensibilité. Ces comportements peuvent sembler mineurs, mais ils peuvent cacher des traumatismes sérieux.
Plus alarmant encore, les conséquences des abus peuvent surgir des années plus tard, lorsque les enfants commencent à montrer des troubles liés à des mémoires traumatiques, manifestant parfois des comportements agressifs à l'égard d'eux-mêmes ou des autres, un phénomène documenté par plusieurs études. Michèle Crépeau, neuropsychologue, insiste sur la nécessité d'une vigilance accrue dans les milieux médicaux et éducatifs pour protéger nos plus vulnérables.
Face à l'insupportable invisibilité de ces tragédies, la lutte contre ce fléau demande un engagement collectif de la société, des pouvoirs publics et des professionnels de l'enfance. Chaque voix compte pour mettre en lumière ce tabou et protéger ces petites victimes.







