Des décennies d'épandages de boues industrielles contaminées avec des PFAS, surnommés "polluants éternels", ont conduit à la contamination de l'eau potable dans 18 villages du nord-est de la France. Face à cette situation alarmante, élus locaux et associations se mobilisent pour exiger des réponses, mais ils se heurtent à un flou juridique considérable et à une sorte d'"omerta" autour de cette problématique.
Dans certaines communes des départements de la Meuse, des Ardennes et des Vosges, des analyses ont révélé que les concentrations de 20 PFAS dans l'eau dépassaient largement les seuils autorisés — jusqu'à 27 fois la limite légale à Villy, dans les Ardennes. Dans une région où aucune usine polluante n’est visible à l’horizon, les enquêtes suggèrent une contamination par les boues d'épuration provenant d'industries éloignées. En Meuse, par exemple, des investigations récentes ont montré que la pollution originaire de compost et de boues issues d'une papeterie fermée en novembre 2024 à Stenay est responsable de cette situation.
En tout, 16 communes, représentant environ 3 400 habitants, font l'objet d'arrêtés interdisant la consommation d'eau, toutes situées à proximité de l'ancienne usine. Les déchets de la papeterie ont été épandus directement ou à travers une unité de compostage, qui a appliqué ces boues sur 225 hectares depuis 2007, avec des zones se trouvant même dans des périmètres sensibles pour le captage d'eau, indique la préfecture. Des actions ont été entreprises pour saisir les composts encore présents et alerter le parquet sur d'éventuels manquements aux règles d'épandage.
Dans un contexte encore plus préoccupant, la société Natura Verde Meuse, responsable de l'unité de compostage, n’a pas donné suite aux demandes de clarification, tandis que le groupe finlandais Ahlstrom, propriétaire de l'usine de Stenay de 1997 à 2023, a choisi de ne pas commenter ces révélations. Le fonds allemand Accursia Capital, qui a brièvement possédé l'usine avant sa liquidation, a cependant défendu qu'aucun produit contenant des PFAS n’avait été utilisé lors de sa gestion.
Des témoignages d'anciens employés, dissimulés sous l'anonymat, révèlent que la réglementation imposait alors uniquement des vérifications sur des métaux lourds, rendant en quelque sorte les opérations conformes, malgré des possibles irrégularités documentaires. Pour les élus locaux, les inquiétudes se portent aussi sur des enfouissements illégaux de boues, qui pourraient aggraver la situation par infiltration dans les sols et eaux environnantes.
Dans les Vosges, la situation est similaire, où deux communes sont frappées par des arrêtés limitant l'accès à l'eau potable. À Tendon, le conseil municipal a tenté d'alerter sur les dangers des épandages de boues, commencés en 1998, conduisant à une interdiction formelle seulement en 2013. Les collectivités locales jointes à cette problématique doivent maintenant trouver les solutions pour traiter l'eau contaminée, un défi d’envergure économique et technique, car les méthodes de filtration classiques ne suffisent pas toujours contre les PFAS.
Le sous-préfet de Vouziers, Hanafi Halil, souligne que les efforts consistent à connecter les réseaux d'eau contaminés à des réseaux sains, une opération qui pourrait engendrer des coûts exorbitants. Ce coût se répercute inévitablement sur les habitants, qui continuent à payer pour de l'eau non potable. En effet, l’Agence de l'eau Rhin-Meuse confirme qu'elle ne peut exonérer certains ménages, malgré la situation préoccupante des utilisateurs.
La préfecture de la Meuse reconnaît les défis, mais souligne que les normes légales de l'époque ne permettaient pas d'engager la responsabilité d'un quelconque pollueur, rendant les procédures difficiles. Un avis partagé par Pauline Cervan, toxicologue et porte-parole de l'association Générations Futures, qui déclare qu'il existe un grand vide juridique autour des PFAS. À partir du 1er janvier, de nouveaux tests obligatoires seront mis en place pour examiner les eaux à la recherche de ces 20 substances nuisibles, ce qui pourrait entraîner de nouvelles restrictions.
Alors que les élus de plusieurs communes, inquiets pour la santé de leurs citoyens, ont même fait analyser leur propre sang pour mesurer les niveaux de PFAS, des résultats alarmants ont été constatés, dépassant les normes établies ailleurs en Europe. Néanmoins, comme le rapporte la maire de Malandry, les résultats ne permettent pas d'obtenir des directives claires, renforçant ce sentiment d'"omerta" autour de cette question. Dans ce contexte, les maires se heurtent à un obstacle supplémentaire : la difficulté de mener des études épidémiologiques en raison du faible nombre d'habitants concernés, un problème récurrent dans la ruralité. Face à cette réalité, ils n'hésitent pas à exprimer la nécessité d'une réponse législative et d'une sensibilisation accrue pour sortie de cette crise sanitaire.







